Voilà le 1er d’une grande série:
Vous découvrirez à chaque épisode:
- une citation tirée du Manuel d’Épictète en italique (dans l’édition FLAMMARION)
- le commentaire de Donald Robertson, traduit avec son autorisation
- un exemplaire perso d’application dans la vie quotidienne
Ndt: ne prenez pas peur devant le style d’écriture de la citation, rappelez-vous que le Manuel a été écrit en grec par un disciple d’Épictète, Arrian, alors qu’Épictète est né en 50 av J-C. Le commentaire va expliciter la citation.
Citation:
Il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépends de nous, de sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions: en un mot, toutes les œuvres qui nous appartiennent. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir; en un mot, toutes les œuvres qui ne nous appartiennent pas.
Les choses qui dépendent de nous sont par nature libres, sans empêchement, sans entraves; celles qui n’en dépendent pas, sont inconsistantes, serviles, capables d’être empêchées, étrangères.
Souviens-toi donc que si tu crois libre ce qui est par nature servile, et propre à toi ce qui t’est étranger, tu seras entravé, affligé, troublé, et tu t’en prendras aux Dieux et aux hommes. Mais, si tu crois tien cela seul qui est tien, et étranger ce qui t’est en effet étranger, nul ne pourras jamais te contraindre; tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras rien malgré toi; nul ne te nuiras; tu n’auras pas d’ennemi, car tu ne souffriras rien de nuisible.
Toi qui aspires à de si grands bien, souviens-toi qu’il ne faut pas médiocrement te démener pour les atteindre, mais qu’il faut absolument en répudier certains, et en ajourner d’autres pour l’instant. Mais si, entre ces biens, tu veux encore et richesse et pouvoir, peut-être n’obtiendras-tu pas ces derniers, du fait que tu aspires également aux premiers. Mais il est, en tout cas, absolument certain que tu n’obtiendras pas les seuls biens d’où proviennent liberté et bonheur.
Ainsi donc, à toute idée pénible, prend soin de dire « tu es idée, et tu n’es pas de tout ce que tu représentes. » Puis, examines-là, et juges-là selon les règles dont tu disposes, surtout d’après cette première qui te fait reconnaitre si cette idée se rapporte aux choses qui dépendent de nous, ou à celles qui n’en dépendent pas. Et, si elle se rapporte à celles qui ne dépendent pas de nous, soit prêt à dire: « cela ne me concerne pas ».
Commentaire:
Arrian, a compilé le Manuel et les Discours d’Épictète à partir de notes prises pendant des lectures du philosophe. Il a mis ce paragraphe en premier dans le manuel, car il est fondamental et tellement important pour tout ce qui va suivre. On a tendance a désigner aujourd’hui cette idée comme « la dichotomie du contrôle ».
Epictète pense qu’il est très important pour les Stoïciens de faire une distinction claire entre ce qui est sous notre contrôle et ce qui ne l’est pas. Il explique dès le début qu’il parle de nos propres actions, volontaires, comme nos pensées et intentions. Derrière les mots « désirs » et « aversions », il entend les jugements de valeurs qui sont cause de ses sentiments. Il averti ses étudiants que ne pas faire la distinction entre « nos propres actions » et « ce qui nous arrive, mais qui n’est pas sous notre contrôle », est la source de beaucoup de frustration dans la vie.
La 1ère chose à laquelle nous devrions nous entraîner, d’après Épictète, c’est à la discipline « des peurs et désirs », parfois aussi appelée « thérapie des passions » (« passion » dans de le sens d’émotion, comme la peur). Dès que nous repérons qu’une pensée ou un sentiment énervant passe dans notre esprit, nous devons « lui parler », l’apostropher, et lui dire « tu es juste une impression dans mon esprit, pas ce que tu prétends être », ou « tu es juste une apparence, et non la chose elle-même ».
C’est très similaire à ce qu’on nomme en thérapie cognitive moderne la distance cognitive. C’est l’habileté de voir nos pensées de manière détachée, comme étant des représentations dans notre esprit, et non de les confondre avec la réalité extérieure. Acquérir cette distance cognitive est la première compétence que les Stoïciens novices doivent apprendre!
Imaginez les pensées perturbantes comme étant des lunettes colorées: lorsque vous regardez le monde à travers elles, vous pouvez oublier que vous les porter et penser que tout est réellement rose bonbon ou marron foncé, selon la couleur de vos lunettes. Vous devez vous arrêter et vous rappeler qu’elles ne sont que des filtres aux travers desquels vous regardez. Vous pouvez enlever les lunettes et les regarder, elles. C’est ce qu’on appelle prendre de la distance cognitive, ou mettre de la distance entre nos pensées et nos impressions sur la réalité extérieure. La carte n’est pas le terrain, disait Korzybski. Les pensées ne sont pas des faits. Une fois que les novices Stoïciens ont appris comment mettre à chaque fois un peu de distance entre leurs pensées et la réalité, ils gagnent en contrôle sur leurs émotions. Ils deviennent capable d’évaluer leurs propres pensées de façon plus rationelle, et en accord avec leurs principes philosophiques.
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Mise en pratique:
Voici donc une des idée principale du courant Stoïcien, et aussi l’une des plus facile à utiliser au quotidien. Toutes les occasions de la vie courante sont bonnes à passer dans ce filtre « qu’est-ce que je contrôle dans cette situation / qu’est-ce qui ne dépend pas de moi ». Agissez sur ce qui dépend de vous.
Exemple: je dois aller manger chez mes beaux-parents, que j’apprécie moyennement, ce week-end. Les seules choses qui dépendent de moi dans cette situation, ce sont mes attitudes et actions: est-ce que je vais accepter d’y aller si je n’en ai pas envie, quelle tête je vais faire pendant tout le repas, les efforts que je vais faire pour passer un moment agréable quand même et trouver du positif à cette situation. Ne dépendent pas de moi les attitudes et jugements des autres au cours de ce repas.
Mettre de la distance entre ses pensées et soi est aussi réalisable toutes la journée: à chaque fois qu’une pensée vous traverse l’esprit, « attrapez »-la et regardez-la. Les plus minutieux pourront les noter dans un journal de nord, et annoter à coté la façon dont ils ont considéré/démonté cette pensée.
Exemple: mon collègue de boulot m’agace parce qu’il ne va pas assez vite. Dans mon esprit passe la pensée suivante « mais qu’est-ce qu’il est bon a rien, je vais devoir le remuer », et ce jugement me met dans un état d’énervement qui ne va pas peut-être pas du tout influer sur mon collègue, mais qui va bien me pourrir ma journée. Cette pensée est-elle la vérité? Non, elle est mon jugement sur une situation que je ne contrôle pas. Peut-être mon collègue a-t-il de bonnes raisons d’être lent, il a peut-être passé la nuit à soigner son enfant malade. La seule chose que je puisse faire c’est essayer de savoir ce qui lui arrive. Au mieux vous créerez un lien plus fort, votre collègue se sentira soutenu et ira mieux, vous aurez donné « votre meilleur ». Au pire, c’est vraiment un bon à rien, et vous n’avez donc aucun contrôle sur son comportement. Libre alors à vous de vous énerver, de perdre de l’énergie la-dessus. Prenez de la distance et refusez de vous laisser perturber intérieurement par vos jugements.
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Pour aller plus loin 6 citations philosophiques indispensables.